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Aout 2019

Bolivie . Valparaiso

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Arrivé à Valparaiso dans la nuit, je marche sur de longues artères coloniales, tirées au cordeau dans la ville du bas.

Je longe de grands immeubles de pierre, d’une pesanteur coloniale travestie par de fins ornements latinos. Je poursuis mon chemin parallèle à la grande digue qui protège les flancs de la ville.

 

Une odeur prononcée de poisson émane du bitume, les trottoirs sont couverts d’une huile noirâtre qui fixe mes sandales. 

Bien au dessus de nos têtes, le poitrail blanc des goélands flotte et habite l’obscurité, tel un mobile annonciateur d’une voute céleste. Ils bercent la ville, annoncent déjà les premières lueurs matinales, glissent comme filerait une étoile dans la nuit, puis disparaissent derrière les imposantes façades de la banque du Chili et des autres banques. Ce maigre réseau de rue, tenu en étaux entre le pacifique et le relief de la ville, se fraye un mince espace qui prolonge en quelques sortes la digue. C’est ici que siègent des banques dans des bâtisses bouffies d’orgueil aux allures de coffre-fort, hermétiques, inhospitalières. D’un mimétisme absurde, les hôtels de luxes reprennent la lourdeur de leur voisinage.

Bien dissimulés dans les socles des bâtiments de pierre des funiculaires s’élèvent, sortent de l’environnement austère de roche et cohabitent maintenant avec de fébriles assemblages de tôles, enfin un débouché vers l’horizon.

Les parois métalliques des bicoques reflètent la lumière qui grandit et deux ciels du matin se font face. Je glisse sous la voûte orangée de l’aube, j’observe de ma cabine chaque lanterne qui veille encore d’un feu usé l’âme d’un arbre ou d’une famille.

 

Je reprends ma marche, découvre derrière les murs de cette citadelle qui retient l’or du pays, les passages, les escaliers, les belvédères. Derrière l’austère Valparaiso institutionnelle commence le foisonnement et la vitalité culturelle d’un peuple.

 

L’autre Valparaiso est une dentelle de parvis qui suivent la crête, se prolongent en balcons qui se tendent du mieux qu’ils peuvent, étirent le cou pour tendre tous leurs sens éveillés au Pacifique. J’ai toujours eu un faible pour les villes construites en terrasse, s’exposant aux lumières du couchant.

 

Aux points les plus élevés, là où convergent les chaos matériels et l’oisiveté des passants, de vastes plates-formes accueillent le va et vient des funiculaires. C’est à cet endroit que le pas particulièrement ralenti, que l’œil se promène dans l’impressionnante communauté des signes disséminés là.

 

Les façades de tôles ondulées sont colorées comme des fruits, elles transportent de jour et de nuit leur capital de soleil. Je loue un ancien appartement, de la verrière en bois de la cuisine je peux observer un vieux cimetière qui occupe tout le plateau de la colline d’en face. Il s’avance tel une proue, désireux de tâter l’embrun océanique. Du haut de leur modeste falaise qui domine les immeubles de la ville, les croix veillent sagement sur la Valparaiso bariolée et impulsive.

 

Enchevêtrement de tôles bigarrées, tags, jardins improvisés, escaliers décorés de farandoles de fanions, ici vivre résonne avec une contamination de l’espace. Laisser se manifester une expression qui découvre sa forme et vient se cumuler à d’autres, et témoigne du cosmopolitisme de ce vieux port à la réputation légendaire.

Tous ces motifs se propagent. Je tente de déchiffrer une longue fresque, absorbé par la suite de personnages représentés au mur, je découvre que je suis entré dans une cours occupée par un théâtre alternatif. Sur la scène, un monticule de chaises dépareillées s’élève sur plus d’un étage adossé au mur couleur or de l’immeuble. Une fratrie de chatons apprend à chasser les feuilles entre les pots de plantes aromatiques. La ville est jeune, emplie d’enthousiasme à faire perdurer son patrimoine culturel et surtout à lui inventer de nouvelles formes.

 

J’ai rejoins le quartier populaire du port pour déguster une cassolette de la mer excellente et surtout très copieuse. Je me suis déshabitué à ces quantités de nourriture et d’alcool. 

Légèrement grisé de mon repas je remonte le marché aux poissons où les chiens et les goélands forment deux clans et se disputent les places stratégiques au plus près des stands.

Il fait chaud, soleil à son zénith, et lourd, un orage de fin de journée s’annonce.

 

J’arrive sur une place où plusieurs jardins rayonnent autour de la fontaine centrale qui ne déverse plus de son précieux liquide. Bien en face d’elle, la statue d’un homme politique qui de son piédestal semble l’invectiver. Mais l’homme est amputé de son avant bras droit qui s’est piqué dans le gazon, des pigeons nichent dans la cavité du coude.

La métaphore semble correspondre.

 

Sur cette place où le marché déborde, de nombreux marchands viennent faire la sieste. D’autres, poursuivant leur flânerie matinale, se sont écoulés parmi les dédales d’échoppes, descendant des vieux quartiers de la ville haute, pour s’allonger à l’ombre du vieux théâtre.

Encore étourdi, je décide d’en faire de même, je trouve un banc où je pourrais m’allonger bien entouré d’une petite colonie de chiens errants. Dans un premier temps j’observe l’animation, je laisse mon regard piocher dans la multitude de scènes qu’offre la fin de marché. De l’autre côté du bassin asséché, un petit chien à trois pattes, terriblement noir, sautille, tournoie autour d’un couple, leur aboie dessus, la femme inquiète crie, fait de grands moulinets avec les bras qui le galvanisent.

Un autre chien, beige celui-là, a l’arrière train en butée contre un tronc d’arbre. Il se dandine et l’élève au ciel en s’appuyant sur l’arbre, son museau s’enfonce dans les hautes herbes. C’est l’hiver à Valparaiso.

 

Un policier contrôle quelques hommes qui dorment pour leur signifier qu’ils doivent trouver d’autres motifs d’existence. Par peur de l’uniforme quelques uns quittent leur jardin, d’autres retournent nonchalamment sur le tapis d’herbe où l’on voit encore l’empreinte de leur somme.

Je m’endors tranquillement, la main fourrée dans le pelage rêche d’un superbe bas-rouge qui  est resté près de moi dès que je suis arrivé. L’une de ses canines part à l’horizontale et lui laisse un air gentiment idiot.

Sous sa protection j’ai rattrapé cette après-midi tous les rêves que mes précédentes nuits, faute de fatigue, avaient omis.

Un dernier puissant voyage qui symboliquement s’accomplit dans l’inconscient, piochant dans les émotions vécues lors de ce voyage, pour clôturer mon séjour sur le continent sud-américain.

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Thomas
Porte
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